Edito

Festival d’inepties

C’est la fin de la semaine, le vendredi. On est un petit peu en avance sur l’heure de l’apéro, mais tant pis, après une énième semaine d’intense boulot, on peut bien souffler un peu. Alors on décapsule une bière, on ouvre un paquet de popcorns, on s’installe confortablement, et on se connecte à la diffusion en ligne de la session du Grand Conseil genevois. Au menu, les lois corsets.
On s’attendait à un festival de mauvaise foi et d’inepties de la part de la droite, et on a été servi-e-s.
À commencer par le grand retour de la dette publique. Cette dette qui, il y a deux mois encore, lorsqu’il s’agissait de faire passer la baisse d’impôt, avait quasiment disparu du radar politique. Évaporée, envolée, tout au plus « en diminution », « maîtrisée », « sous contrôle », « supportable », en tous les cas plus un problème. C’est bon, on peut diminuer sans soucis les recettes de l’État, confiant-e-s en un avenir radieux. Mais sitôt le jackpot encaissé, la voilà qui revient, cette affreuse dette, démesurée, monstrueuse, insupportable, véritable hypothèque sur l’avenir, qu’il serait irresponsable de léguer à nos enfants. Car « on ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas », assène l’expert-comptable de service, qui du haut de son estrade, se permet de donner des leçons de « vérité mathématique comptable » aux autres, mais qui ose pourtant la comparaison entre le Canton de Genève, la Ville de Paris (dont les compétences dans la France hypercentralisée, c’est bien connu, sont rigoureusement identiques à celles d’un Canton suisse), et… le Qatar. Alors évidemment, si le maître-étalon du PLR en matière de service public est le Qatar, on a encore plus de soucis à se faire que l’on ne pensait.
Mais au-delà des comparaisons douteuses, c’est l’appel au soi-disant « bon sens » que la droite a martelé, usant et abusant de la plus grande des inepties, celle consistant à comparer la gestion financière d’un ménage à celle d’un État. Car si l’on ne se permettra pas de remettre en cause les compétences mathématiques de l’expert-comptable, en revanche on peut sérieusement douter de celles en économie.
Car tous-tes les économistes vous le diront : il n’y a aucun sens à comparer la gestion du porte-monnaie de tout un chacun avec celle d’un État. D’abord, n’en déplaise à la droite, parce que la fonction première d’un État est de répondre aux besoins de la population. Et c’est en fonction des ces besoins qu’il détermine lui-même ses revenus (notamment via l’impôt), tandis qu’un ménage privé ne peut pas décider tout seul de son revenu, et n’a donc pas le choix d’adapter ses dépenses en fonction. Ensuite parce que la dette n’est pas un problème en soi. C’est la capacité de remboursement qui est déterminante. Or, comme un État est pérenne, contrairement aux individus qui finissent tous-tes par mourir un jour, l’État peut emprunter beaucoup plus et sur un beaucoup plus long terme. Et tandis qu’il est en effet périlleux pour un ménage de s’endetter pour assurer sa consommation, les dépenses de l’État, en services (publics) ou en investissements sur les infrastructures, génèrent quant à elles une activité économique, et donc de nouveaux revenus, qui lui permettent justement d’assurer sa solvabilité auprès de créanciers.
Et si on veut vraiment parler de bon sens, quel individu réduirait volontairement ses revenus alors que ses dépenses incompressibles et prévisibles ne cessent d’augmenter ?
Autre ineptie, cette fois-ci dans la bouche de l’UDC (j’en ai renversé mon paquet de popcorns) : les lois corsets conféreraient plus de « flexibilité » à l’État dans la gestion de ses effectifs. Elle est bien bonne, celle-là, on bloque le gouvernail de l’État, et on prétend donner ainsi plus de souplesse au pilotage ? on navigue en plein trumpisme, alternative facts, comme on dit là-bas.
Et enfin, cerise sur le gâteau, « en cas de grave crise ou d’événement inattendu, le bon sens de notre Conseil s’appliquera ». Là c’en est trop, ça devient carrément insultant pour le public, la droite démolit le service public, et il faudrait faire confiance à son «bon sens» en cas de crise ? Fin de l’apéro. Euh, dites les ami-e-s, si c’est ça, le «bon sens» politique, on peut pas lancer une initiative pour en interdire l’usage ? En attendant, on se contentera du référendum contre les lois corsets.

Davide De Filippo