Bilatérales ● Le 30 janvier, l’Union syndicale suisse (USS), dont le SIT est membre associé, a tenu une Assemblée des délégué-e-s extraordinaire pour se positionner sur le résultat des négociations entre la Suisse et l’Union européenne (Bilatérales 3). Après l’abandon du projet d’« accord institutionnel » en 2021, les négociations avait repris à un rythme soutenu en 2024, pour aboutir au résultat annoncé par le Conseil fédéral le 20 décembre dernier. Dès cette annonce, l’USS s’était d’emblée montrée critique. Et pour cause, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la libre-circulation il y a plus de vingt ans, celle-ci s’accompagne d’un affaiblissement des règles de protection des salaires, et non d’une amélioration. L’USS considère donc ce résultat inacceptable en l’état, et appelle donc au renforcement des mesures d’accompagnement afin de protéger les salaires en Suisse.
Protection des salaires attaquée
Concernant les salaires, l’accord renouvelle la possibilité pour les entreprises étrangères d’offrir leurs services en Suisse (et réciproquement) en y détachant leur personnel, avec le principe d’un salaire égal pour tous-tes au même endroit. De plus l’accord prévoit une clause de non-régression (pas de reprise par la Suisse si l’UE modifie ses directives). Mais il supprime l’exigence de déposer une caution pour couvrir d’éventuelles infractions aux salaires à verser, pour ne l’exiger plus qu’en cas de récidive. Car c’est là un autre recul : l’accord supprime l’interdiction de soumissionner suite à des infractions commises par l’entreprise (qui concerne aujourd’hui entre 600 et 1 000 entreprises par année). Autre recul gravissime : ces entreprises ne seraient plus tenues de rembourser les frais professionnels (nourriture, logement, déplacements, etc.) selon les règles suisses, mais selon celles du lieu d’origine, ce qui peut représenter jusqu’à 1000 frs par mois de différence ! Enfin, le délai d’annonce pour le travail détaché est réduit de 8 à 4 jours, ce qui est susceptible d’entraver considérablement les contrôles.
Quelles mesures d’accompagnement ?
Face à cette situation, l’USS a adopté un cahier de revendications en matière de mesures d’accompagnement à négocier avec le patronat et le Conseil fédéral. Certaines revendications visent à neutraliser les reculs de l’accord en matière de travail détaché (frais professionnels, contrôles, suspension des travaux en cas d’infractions graves, etc.), mais aussi de développer et de rendre plus opérant le principe de responsabilité solidaire des maîtres d’ouvrage en cas de défaillance d’une entreprise sous-traitante.
L’USS revendique par ailleurs la réduction des quorums nécessaires à l’extension des conventions collectives de travail, ainsi que l’amélioration de la protection contre les licenciements.
Position frileuse
Oubliés dans un premier temps, il aura fallu l’intervention du SIT à l’AD de l’USS pour que le renforcement des contrats-types de travail soit ajouté aux revendications. Mais c’est tout, car les organes dirigeants ont privé l’AD de pouvoir se positionner sur deux autres propositions du SIT : la première portant sur le salaire minimum légal, et la seconde sur l’égalité salariale. Une double occasion manquée, dont celle de profiter du rapport de force pour remettre à l’agenda politique nos revendications contre une autre sous-enchère largement pratiquée par le patronat et tolérée par les autorités : celle à l’égard des femmes.
Quant à la libre-circulation en tant que telle, tout juste l’USS a-t-elle accepté une mention relative à l’égalité des droits dans sa résolution, mais n’a pas réaffirmé clairement, comme le SIT le demandait, son attachement à ce principe. L’USS n’aurait-elle pas appris la leçon du 9 février 2014 ?
Prochaines étapes
Le contenu exact des accords devra être publié (ce n’est pas encore le cas), puis le Conseil fédéral proposera au Parlement les dispositions légales pour les mettre en œuvre, dont les mesures d’accompagnement. Les débats parlementaires auront ensuite lieu, lesquels devraient a priori se conclure, selon le Conseil fédéral, par quatre référendums distincts qui devraient avoir lieu en 2027 ou 2028.
Jean-Luc Ferrière et Davide De Filippo