Justice ● C’est une victoire d’étape que vient de franchir Gisèle. Arrivée toute jeune en Suisse il y plus de 20 ans, elle a toujours travaillé comme domestique privée pour des diplomates. Son dernier employeur l’engage en avril 2020, en pleine épidémie de Covid19. Elle travaille, dur, mais ne reçoit aucun salaire. Pendant plusieurs mois, elle se mure dans le silence par crainte de perdre sa carte de légitimation qui lui accorde un droit de séjour en Suisse. Extrêmement atteinte dans sa santé, elle se confie à sa thérapeute qui s’adresse à la Mission Suisse pour signaler les abus. Gisèle reçoit sa lettre de licenciement par WhatsApp avec un mois de préavis. Avec sa sœur et deux autres collègues toutes travaillant pour des diplomates du même État, et rencontrant la même situation, elle frappe à la porte du Collectif de soutien aux sans-papiers, qui identifie d’emblée une situation pouvant être qualifiée de traite des êtres humains.
Âpre bataille judiciaire
Avec le soutien du SIT et trois bureaux d’avocat-e-s commence alors une longue bataille pour elle et ses collègues.
Toutes les autorités cantonales, fédérales, diplomatiques, organes de médiation, instances juridiques et judiciaires ont été interpellées et saisies. Toutes ont buté contre le mur de l’immunité de juridiction.
L’avocat de la défense a, quant à lui, brandi sans relâche et avec pugnacité le bouclier de la protection diplomatique pour contester la recevabilité de la demande prud’homale de Gisèle, allant jusqu’à faire recours devant le Tribunal Fédéral (TF). Au bout de quatre longues années de procédure, Gisèle a reçu le verdict du TF comme une victoire historique qui non seulement lui donne raison mais qui élargi le champ de protection juridique à toutes les domestiques privées engagées par des agents diplomatiques.
Immunité n’est pas impunité
Le Tribunal Fédéral a rappelé dans son arrêt du 25 septembre 2025 plusieurs constats et principes fondamentaux. Parce qu’il est « notoire que le personnel de maison est susceptible d’être exploité (…), ce qui va du non-paiement (…) partiel ou total de la contre-prestation due (heures supplémentaires, salaire, etc.) au maintien dans des conditions de travail forcé ou d’esclavage moderne, le besoin de protection juridique des domestiques privé-e-s est particulièrement accru… notamment lorsqu’ils et elles sont employé-e-s dans le ménage diplomate ».
Concrètement, la Haute cour s’est prononcée sur une pesée d’intérêts entre droit d’accès à la justice des employé-e-s et appréciation des privilèges des diplomates dans leur fonction. Elle rappelle que le but de l’immunité est de permettre l’exercice du travail diplomatique mais pas l’impunité dans des affaires sans rapport avec celui-ci.
Un chemin encore long
Le tribunal poursuit dans son interprétation et pointe du doigt la pratique du Département des affaires étrangères (DFAE) qui dans son Ordonnance sur les domestiques privés (ODPr) contrevient au droit d’accès à la justice garanti par l’art. 6 de la Convention Européenne des droits de l’homme (CEDH).
Avec cet arrêt, les juges fédéraux accordent désormais une protection plus étendue que dans les pays voisins aux travailleurs-ses domestiques au sein de missions diplomatiques. Mais ce n’est qu’une victoire d’étape car le chemin est encore long pour que Gisèle* obtienne une pleine et entière réparation. La plainte pénale déposée contre son employeur est toujours en cours, tout comme le procès devant le Tribunal des Prud’hommes qui doit maintenant reprendre sur le fond de sa requête. Et nul ne peut garantir à ce stade que Gisèle* reçoive concrètement une indemnisation et encore moins qu’elle puisse rester en Suisse.
Mais c’est maintenant armée de cette première victoire qu’elle poursuivra son combat, le SIT à ses côtés.
Mirella Falco
*prénom d’emprunt