Travail du dimanche • Du jamais vu. Mercredi 15 octobre, alors que les bulletins de vote officiels sont déjà imprimés, de même que des centaines d’affiches et des milliers de tracts, le Conseil d’État a décidé d’annuler la votation du 30 novembre portant sur l’ouverture des magasins le dimanche, contre laquelle les syndicats ont recueilli plus de 8 000 signatures référendaires au seuil de l’été dernier. Motif ? Le résultat de la votation serait devenu illisible en raison d’un Arrêt du Tribunal fédéral (TF) intervenu dans l’intervalle, et nécessiterait un nouveau débat parlementaire. Pour le SIT et les autres syndicats genevois, cette décision est pour le moins discutable.
Une question politique
La loi actuelle sur les horaires d’ouverture des magasins (LHOM) stipule dans son article 18A que les magasins peuvent ouvrir trois dimanches par an en plus du 31 décembre (jour férié à Genève, assimilé à un dimanche), à condition de l’existence d’une Convention collective de travail étendue dans le secteur. Or, c’est précisément cette condition que les patrons et la droite ont fait sauter au profit de l’ouverture de deux dimanches plutôt que trois en modifiant la LHOM le 22 mai dernier. Une modification contre laquelle les syndicats et les partis de gauche ont lancé un référendum, fidèles à la ligne que nous avons défendue à chaque tentative de la droite d’ouvrir les magasins le dimanche : pas de CCT de force obligatoire dans la branche ? Pas de travail et donc pas d’ouverture dominicale le dimanche.
Le TF s’en mêle
Mais voilà que dans l’intervalle, le Tribunal fédéral s’en est mêlé, saisi par les organisations patronales suite au recours syndical contre l’ouverture abusive du 22 décembre 2024. Au terme d’un raisonnement douteux, celui-ci a considéré le 7 octobre dernier que l’article conditionnant l’ouverture des dimanches à l’existence d’une CCT est contraire au droit fédéral. Dont acte. Mais dès lors que cette ouverture n’était précédemment acceptée qu’à cette condition, il invite le législateur cantonal à clarifier ce qu’il veut dès lors faire : soit supprimer cette clause de la loi pour ouvrir le dimanche, soit au contraire en rester au statu quo, soit l’interdiction des ouvertures dominicales sauf circonstances tout à fait exceptionnelles.
Une question qui demeure
Or, pour les syndicats, le fait que le Tribunal invalide la construction juridique de la LHOM ne change rien à la question politique de fond : voulons-nous ou pas des ouvertures dominicales des magasins alors qu’il n’existe à ce jour pas de CCT étendue dans la branche ? Laisser la population y répondre le 30 novembre prochain aurait justement permis de clarifier l’intention du législateur. Soit c’était un OUI, et la question était alors réglée, soit c’était un NON, et alors l’intention du législateur aurait également été claire : pas de CCT dans les faits, pas d’ouverture, et c’est alors l’ensemble de l’article 18A qui tombe. Rien d’ « illisible » donc à cette question politiquement tout à fait valide et légitime.
Garantir les droits démocratiques
Mais visiblement le Conseil d’État s’est perdu dans le brouillard, sans doute épaissi par la crainte ou les menaces que certain-e-s ne comprennent pas la question ou la détourne de son sens en prétendant fallacieusement qu’un refus aurait paradoxalement ouvert la possibilité à l’ouverture de trois dimanches plutôt que deux. Une lecture absurde et antidémocratique de l’invite du TF, mais qui n’aurait engagé que celles et ceux qui veulent pervertir le débat politique pour tenter de gagner à tous les coups…
La votation est donc annulée, et la question repart donc pour un tour au Grand Conseil. Mais pour les syndicats, il est hors de questions que les 8 000 signatures contre l’ouverture des dimanches sans protection du personnel soient jetées aux horties, ni que les droits politiques des référendaires que confère le dépôt de ces signatures soient rabotés.
Davide De Filippo