Votations

Encore des cadeaux fiscaux aux propriétaires ?

Alors que la valeur locative est supprimée, il est urgent de remettre l’ouvrage de la réévaluation de la valeur fiscale des immeubles sur le métier.

Redistribution des richesses • Le front de la lutte des classes a subi un recul inquiétant le 28 septembre dernier avec notre défaite dans la bataille sur la valeur locative à l’échelle nationale. Bien que Genève, avec sa majorité de locataires, ait largement rejeté le projet (à deux tiers des voix exprimées), la Suisse l’a accepté à 57 %, emmenée par les partis de droite, majoritaires, et les cantons campagnards. Les conséquences financières étaient annoncées comme atteignant les 2 milliards de pertes pour les collectivités publiques, mais elles varieront selon la valeur du taux hypothécaire, et pourront être supérieures. Face aux pertes pour le financement des prestations publiques, il est urgent de stopper l’hémorragie, et de reprendre un autre dossier qui doit permettre que les propriétaires paient un peu mieux leur dû : celui de la valeur fiscale des immeubles.

Inégalité de traitement

Une injustice supplémentaire est créée entre les locataires et les propriétaires, qui se sont massivement mobilisé-e-s. L’argument « c’est un impôt sur un revenu fictif » semble avoir bien fonctionné, alors que non, la valeur locative n’est pas un revenu fictif mais un revenu en nature, ce qui est bien différent. Ainsi, un-e travailleur-euse qui loge au domicile de son employeur voit le logement compté comme un revenu en nature, et le salaire en est le plus souvent diminué d’autant. Cette différence (la valeur du logement) n’est pas versée, mais n’est pas fictive !

Imposer les résidences secondaires

Il faudra donc se préparer à mettre en place l’imposition de compensation prévue par cette votation, qui touchera, elle, les résidences secondaires. Ne sous-estimons pas, à Genève, le fait qu’il existe non seulement des maisons-résidences secondaires, mais également des appartements « pied-à-terre». Il faut tenter de récupérer une part des ressources perdues par ce biais.

Soif insatiable de la droite

Et il faut également dénoncer la duplicité des partisans de la modification : celle-ci, au parlement, a été ficelée en associant la suppression de l’impôt et celle des déductions sur cet impôt : c’est logique, puisque les déductions (pour frais d’entretien, etc.) diminuaient l’impôt à verser. Sans impôt, plus de déduction possible. Mais les tenant-e-s des cadeaux aux propriétaires ne sont jamais arrêté-e-s par l’éthique ou la probité intellectuelle : seul compte le bénéfice ! Le soir même du vote, ceux-celles-ci annonçaient une nouvelle modification pour rétablir les déductions annulées ! Ce sera donc double perte pour les petit-e-s,
les locataires qui auront besoin de prestations sociales financées par les impôts, et double gain pour les propriétaires…

Reprendre le chantier LEFI

Il faut aussi sans attendre procéder à la réévaluation de la valeur fiscale des immeubles (LEFI). Pour rappel, le Tribunal fédéral a considéré que la loi pro-propriétaires votée en 2023, violait le droit. L’estimation de la valeur fiscale des immeubles date de 1964, n’a jamais été refaite, mais a simplement été augmentée linéairement à quelques reprises (la dernière fois, de 7 % pour la période 1995-2018, a déjà été retoquée par le Tribunal fédéral). La loi de 2023 prévoyait une majoration de 12 %, valable pour une durée indéterminée, et simplement indexée à l’augmentation du coût de la vie, mais au maximum de 1 % par an. Le TF a admis que ce mécanisme ne reflétait pas l’augmentation de valeur des biens immobiliers, en réalité de 3 à 6 fois supérieure, et l’a donc invalidé, tandis que la baisse de l’imposition de la fortune qui y était associée est entrée en vigueur. Le Conseil d’État ne semble pourtant pas pressé de reprendre cette loi, mais il doit impérativement le faire, comme l’a rappelé la Plateforme pour la justice fiscale. Ce qui par ailleurs réduirait un peu le déficit de l’État 2026.

Jean-Luc Ferrière