Simone de Montmollin (PLR), Cyril Aellen (PLR),Thomas Bläsi (UDC), Roger Golay (MCG), et VincentMaître (le Centre). Retenez bien ces noms (et ces partis). Ce sont les conseillers-ères nationaux-ales genevois-es qui ont accepté la modification de la Loi fédérale sur l’extension des CCT découlant de la motion Ettlin.
Ce vote est scandaleux à plus d’un titre. D’abord parce qu’il s’attaque aux travailleuses et travailleurs les moins bien loti-e-s, à qui le salaire minimum légal a donné ce que le « partenariat social » hypocritement fantasmé par la droite leur avait refusé pendant des décennies : un salaire au moins équivalant au minimum vital tel que calculé dans la cadre des prestations complémentaires. En 2019, Cyril Aellen déclarait pourtant sur son blog que « chacun doit pouvoir vivre dignement du produit de son travail ». Chacun ? Visiblement pas les plus précaires, et tant pis si les femmes sont surreprésentées dans ces catégories professionnelles les moins bien rémunérées. Un vote inique, intervenu trois jours après le 14 juin. La classe. Ensuite parce que ce vote est antidémocratique. Il piétine la volonté exprimée par la population genevoise, qui s’est rendue en nombre aux urnes le 29 septembre 2020 (taux de participation de 54,14 %) pour accepter l’introduction du salaire minimum légal à plus de 58 %. Un vote revanchard, de « mauvais perdants », selon les termes de Mauro Poggia, notoirement opposé au principe du salaire minimum légal, mais qui déclare courageusement dans la presse qu’il s’opposera à cette modification de la loi fédérale au Conseil des États, par respect de la volonté populaire et de l’ordre juridique suisse. Un respect dont la droite genevoise n’a pas su faire preuve, contrairement à leurs homologues neuchâtelois-es, qui ont eu au moins la décence de s’abstenir au vote.
La motion Ettlin ? Une « action de mauvais perdants »
Si ce vote est scandaleux, c’est aussi parce qu’il repose toujours sur les mêmes mensonges quant à la prétendue « impossibilité » pour les entreprises de verser des salaires aussi « élevés ». Or, voilà un peu plus de quatre ans que les entreprises genevoises appliquent le salaire minimum légal, sans que cela n’ait créé ni effet significatif sur le chômage, ni sur le nombre d’emplois, qui a continué à croître au même rythme qu’ailleurs, sauf dans le secteur du nettoyage, selon le 3e rapport du professeur Ramirez sur les effets de l’introduction du salaire minimum légal. Si cette baisse, qui se traduit par ailleurs par une augmentation du taux d’activité moyen dans le secteur, peut être imputable au salaire minimum légal, ce rapport évoque d’autres hypothèse explicatives, telle que la réduction du marché du nettoyage en raison d’une persistance plus longue et quantitativement plus importante du télétravail à Genève, notamment au sein de la Genève internationale. Ce à quoi il faut probablement ajouter un phénomène de réinternalisation, notamment en Ville de Genève et dans le secteur bancaire. En substance, le salaire minimum légal est appliqué sans catastrophe économique pour les entreprises, qui ont su s’adapter à cette nouvelle exigence, quitte à ajuster leur modèle d’affaires. Rien d’impossible, donc.
Enfin, ce vote est scandaleux car il prétend hypocritement promouvoir le « partenariat social », qui serait le seul à même de déterminer des salaires « justes et correspondant à la capacité économique des entreprises ». Or, des salaires en dessous du minimum vital ne sont ni justes, ni ne correspondant à la capacité économique des entreprises, comme démontré ci-des-sus. C’est le résultat d’une négociation, dans laquelle le rapport de forces est la plupart du temps défavorable aux salarié-e-s dans ces secteurs précaires.
Et c’est précisément ceci que les salaires minimaux cantonaux corrigent, n’en déplaise au patronat et à ses représentant-e-s politiques. Et faire primer les salaires résultant de ce mauvais rapport de forces sur les mini-maux cantonaux n’aura qu’un effet : torpiller le « partenariat»social » en rendant impossible pour les syndicats de signer des conventions collectives qui placeraient les travailleurs-euses concerné-e-s dans une situation moins bonne que celles-ceux non couvert-e-s par une convention, et donc au bénéfice du salaire minimum légal. Et ceci, il faut que l’ensemble des syndicats suisses en prennent la mesure, y compris dans les cantons encore loins d’être dotés d’un salaire minimum lé-gal. En prendre la mesure, et se préparer sans plus attendra à mener la bataille référendaire qui s’imposera dans l’éventualité où le Conseil des États devait emboîter le pas purement idéologique du Conseil national, plutôt que d’écouter la voix des Cantons, tous opposés (sauf un demi-canton) à cette mise en œuvre de la motion Ettlin.
Mais si ce vote est scandaleux, c’est surtout parce que son objet n’était pas « pour ou contre le salaire minimum », mais pour ou contre la régression sociale. En d’autres termes, ces parlementaires ont participé à une décision politique historique – et peu glorieuse :une baisse de salaire pour des milliers de travailleuses et travailleurs parmi les moins bien rémunénéré-e-s. L’immense classe.
Davide De Filippo