Les conditions de travail dans l’hôtellerie-restauration sont définies par une convention collective nationale de travail (CCNT) signée par les organisations patronales suisses (Swiss Catering Association, Hôtelleriesuisse et Gastrosuisse) et les syndicats nationaux (Unia, Syna, Hôtel&Gastro Union). Cette convention ne vaut pas seulement pour les organisations signataires et leurs membres, mais pour tous les établissements et tous les personnels du secteur lorsqu’elle fait l’objet d’une « décision d’extension » prise par le Conseil fédéral (via le Secrétariat d’Etat à l’économie – Seco) sur demande des organisations concernées. C’est la situation actuelle.
Que se passe-t-il ?
La CCNT en vigueur a été renégociée ces derniers mois par les acteurs nommés ci-dessus qui, comme d’habitude, on fait une demande d’extension au Seco en date du 15 août 2016.
En prenant connaissance de cette nouvelle convention, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017, le SIT – syndicat cantonal exclu des négociations nationales mais plus représentatif que les syndicats nationaux pour secteur HR sur Genève – a constaté que celle-ci contient des dispositions inacceptables, particulièrement dans le domaine des salaires :
- L’augmentation des salaires proposée est ridicule, particulièrement pour les plus bas salaires (catégorie Ia) : en 2006, la CCNT le fixait à 3’400 francs par mois ; en 2010, ce montant a été augmenté de 7 francs ; la convention renégociée le fait passer à 3’417 francs par mois. Oui, vous avez bien lu : c’est une « augmentation » de 17 francs en 10 ans, ce qui correspond 1,70 francs de plus par mois chaque année ! Inacceptable.
- D’autant plus inacceptable que cela place les salaires de l’hôtellerie restauration tout en bas de l’échelle des salaires à Genève, plus bas même que dans l’économie domestique où le salaire des employé-e-s non qualifié-e-s est de 3’756 francs par mois.
- Plus largement, l’échelle des salaires actuelle de la CCNT, qui va, selon les qualifications, de 3’400.- à 4’800.- fait que le secteur de hôtellerie restauration est celui qui paie le plus mal ses employé-e-s, avec le secteur des services au personnel (coiffure, esthétique, blanchisserie) : en prenant en compte tous ceux et toutes celles qui y travaillent le salaire médian mensuel genevois y est de 4’287.- (cela signifie que la moitié des employé-e-s gagnent moins que ça !) contre 4’881 dans le commerce de détail par exemple.
- C’est d’autant plus inacceptable que le coût de la vie à Genève est l’un des plus élevés de Suisse (loyers, primes d’assurance, etc.) et cette ville est classée chaque année parmi les plus chères du monde. Résultat des courses : une bonne partie des salaires de hôtellerie restauration est au-dessous du seuil
- Et ce n’est pas tout : le patronat veut encore augmenter la pression sur les salaires en utilisant toutes les « combines » possibles pour payer ses salarié-e-s encore moins que ce qui est prévu par la CCNT. Ainsi, l’association d’employeurs « hotelleriesuisse » a-t-elle l’indécence de publier à l’intention de ses membres des conseils ayant pour titre « Exploiter le potentiel d’économies qu’offre la CCNT », économies consistant à allonger les temps d’essai, diminuer le salaire de 8% les trois premiers mois, jongler avec des heures supplémentaires pour éviter des les payer à 125%, augmenter les déductions pour le logement et la nourriture. Le conseil le plus cynique étant de ne payer que 93% de son salaire à un-e salarié-e ne travaillant « que » 42 heures dans un établissement pouvant pratiquer les 45 heures. Ainsi, un-e employé-e engagée dans un tel établissement pourrait subir une « double peine » : payée seulement à 93%, elle verrait son salaire encore amputé de 8% les 3 premiers mois et tomber à 2’934 CHF pour les personnes « sans qualification ».
- Le SIT ne peut pas accepter l’absence de progrès qui caractérise cette nouvelle CCNT en matière de salaires et, pire encore, les perspectives de sous-enchère qu’elle annonce. Cela d’autant plus qu’il avait contribué en 2015 à récolter les 2000 signatures d’une pétition demandant exactement le contraire : « des augmentations de salaires et plus de contrôles ».
Mesure d’urgence pour combatte la pression sur les salaires
Inacceptable donc. Déjà pour le très important nombre de salarié-e-s et d’établissements directement concernés : 17’500 employé-e-s plus de 2000 établissements à Genève, 221’000 salarié-e-s dans 30’000 établissements dans toute la Suisse, qui méritent d’être défendus. Mais aussi pour l’ensemble des travailleurs-euses de tous les secteurs, car, si on laisse aller les choses dans hôtellerie restauration, on ouvre la porte à des sous-enchères similaires ailleurs.
Cette CCNT est donc contraire aux intérêts légitimes des salarié-e-s de l’hôtellerie et de la restauration et dangereuse pour l’ensemble du secteur privé. La seule possibilité pour le SIT de s’y opposer, n’étant pas signataire, était de s’opposer à la « demande d’extension du champ d’application de la CCNT », publiée dans la FOSC (Feuille officielle suisse du commerce) le 15 août 2016. Extension qui donne force de loi à la convention et qui est soumise à consultation. Ce qu’il a fait le 23 août 2016, dans un double but :
- manifester clairement ses critiques aux dispositions de la nouvelle CCNT,
- mais aussi et en même temps ouvrir une « voie de secours » pour les employé-e-s de hôtellerie restauration à Genève en demandant qu’un avenant cantonal genevois soit créé.
Cette dernière revendication n’est pas illusoire, car un tel avenant cantonal existait pour l’hôtellerie restauration jusqu’en 2006, mais il n’avait alors pas été renouvelé par le Seco au prétexte qu’il ne pouvait pas y avoir des salaires minimaux étendus en même temps au niveau fédéral et dans un canton. Argument qui a entraîné un gel des salaires genevois jusqu’à ce que les salaires nationaux les rattrapent (en 2012) et qui s’est révélé faux puisque que dans le domaine de la construction, un avenant cantonal a été revendiqué en 2007 et obtenu en 2009.
Un traitement différencié, tenant compte du coût de la vie à Genève, est donc nécessaire, juste et possible.
Que faire ?
SIT a donc joué son rôle en créant ce blocage de l’extension de la CCNT. Mais il ne peut évidemment pas en rester là. Il faut maintenant obtenir cet indispensable avenant genevois. Comment ?
- en interpellant les patrons genevois du secteur pour qu’ils entrent en négociation avec les syndicats genevois en vue d’aboutir à un avenant genevois utile aussi bien à eux qu’à leurs salarié-e-s : en offrant de bonnes conditions de travail au personnel, cela répondrait autant aux besoins de celui-ci qu’à la qualité de leur travail, et contribuerait ainsi aux bonnes prestations et à une meilleure image du secteur. Le patronat genevois ne devrait pas y être insensible ;
- en s’accordant bien sûr avec les autres syndicats genevois pour entreprendre cette démarche ; connaissant la situation genevoise, ceux-ci sont capables de prendre leurs distances avec leurs instances nationales et de faire « front commun » dans une négociation cantonale ;
- en alertant les autorités cantonales sur cette situation et en demandant de faciliter un dialogue social permettant d’aboutir à un résultat dans un délai raisonnable, puis de pratiquer le contrôle nécessaire à la mise en œuvre de cet avenant cantonal.
La culture et la pratique genevoises en matière de « tripartisme » devraient rendre cette démarche réalisable.
Un seul levier efficace : la mobilisation
Comme toujours dans ces moments de négociation sociale, rien n’est plus utile pour aboutir que la mobilisation des personnes concernées, de leurs organisations et de l’opinion publique.
Ainsi, les ouvriers de la construction ont-ils obtenu leur avenant genevois et ses améliorations grâce à une grève menée par 4`000 d’entre eux.
L’amélioration des salaires dans l’hôtellerie-restauration nécessite donc de mobiliser à la fois
- les militantes et militants du SIT : à elles et à eux de bien comprendre les enjeux, de faire passer le message auprès de leurs collègues et connaissances, d’animer les débats et manifestations du SIT, de rallier à la cause leurs homologues des autres syndicats ;
- l’ensemble du personnel concerné : c’est par lui que les patrons seront rendus attentifs à la situation et poussés à prendre une position favorable à un avenant cantonal ;
- l’opinion publique doit aussi être sensibilisée : la clientèle des hôtels et restaurants peut-être une alliée précieuse, capable de soutenir le personnel dans cette démarche.
Pour réaliser tout cela, les moyens ne manquent pas : assemblées générales des membres du syndicat, tractage intensif auprès du personnel, avec un ciblage particulier vers les grands établissements (hôtels et chaînes de restaurants), pétitions, articles SIT-Info, conférences de presse, etc.
Hôtellerie-restauration, interprofessionnelle, clientèle, citoyens : tous concernés !
Article de la Tribune de Genève
Article du Courrier