Augmentation structurelle de la population, concurrence accrue entre les prestataires de soins, crise du financement public. Tous les voyants sont au rouge.
Analyse
Sous la double pression démographique d’une part et budgétaire d’autre part, les conditions de travail dans les Hôpitaux universitaires de Genève sont mises à mal. Le personnel manque, la Loi sur le travail n’est pas respectée et la droite patronale s’attaque aux salaires. Appel à résistance.
Explosion des besoins
Le scénario démographique est catégorique. La population genevoise dépassera le demi-million en 2020. Pour répondre aux exigences de la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal), le canton définit dans sa planification médico-sociale et sanitaire des orientations stratégiques pour répondre à l’évolution des besoins de la population. Les prévisions confirment les tendances exprimées en 2012 et annoncent pour les trois années à venir une augmentation des besoins de 5% en soins aigus, 4% en psychiatrie et 16% en réadaptation et gériatrie. En cause, le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques. Le phénomène est bel et bien identifié et il est désormais attendu que le nombre de résident-e-s de plus de 80 ans doublera entre 2010 et 2040. Actuellement plus de 200 lits sont occupés aux HUG par des patient-e-s en attente d’un placement en EMS ou dans des institutions pour patients lourds.
Hôpitaux en concurrence
Pour faire face à cette explosion des besoins de la population, les autorités renoncent à axer leurs politiques publiques sur la coordination, les soins intégrés centrés sur la personne et la qualité des prestations comprenant la prévention de la maladie et la promotion de la santé. Elles préfèrent alors privilégier la piste des économies. Sur le plan fédéral, une première salve est tirée par la révision partielle de la LAMAL entrée en vigueur en janvier 2012, elle introduit deux principes : le libre choix de l’hôpital - qui peut s’étendre aux établissements privés et aux autres cantons - et le financement par cas des prestations hospitalières en soins somatiques aigus. La Santé publique est ainsi livrée au sordide jeu de la concurrence. Les patient-e-s prenant le risque de voir leur facture grimper si les bonnes conditions ne sont pas remplies. Les hôpitaux, quant à eux, sont contraints de franchir les murs des arènes de la compétition. Selon Verena Nold, directrice de Santésuisse, l’association des assureurs-maladie suisses, les forfaits par cas créeraient les conditions pour que les hôpitaux fournissent des prestations de qualité à des prix avantageux. Dans ce nouveau système, les séjours à l’hôpital ne sont plus rémunérés en fonction du nombre de journées d’hospitalisation mais de manière forfaitaire. Sur quelle base de critères ? Celle définie par SWISSDRG SA, société anonyme d’utilité publique fondée en 2008 pour mettre en œuvre le mandat adopté par le parlement et regroupant des fournisseurs de prestations, des assureurs et des cantons. Les cas sont évalués selon leurs coûts économiques et les négociations autour du tarif de référence font l’objet d’une lutte sans pitié entre les assureurs et les hôpitaux.
Austérité cantonale
La deuxième attaque vient des autorités cantonales qui somment les HUG de faire des économies alors même qu’il manque plus de 600 postes fixes, notamment à la maternité, en psychiatrie, dans le département de médecine communautaire de premier recours et des urgences. Non seulement la subvention est réduite de 1% mais le département refuse de financer les effectifs nécessaires au bon fonctionnement des HUG dans le respect de la loi sur le travail (Ltr). L’Office cantonal de l’inspection du travail vient de rendre son rapport dans lequel ont été relevées de nombreuses infractions à la Ltr sur la durée du temps de travail et sur le temps de repos. Coût de l’opération : 20 millions. L’origine du manque de financement public des HUG est connu : le canton s’est privé en dix ans d’un milliard de recettes fiscales annuelles et s’apprête à se priver au bas mot d’encore 500 millions avec la RIE III.
Personnel sous pression
Alors que les plans d’économies mettant le personnel sous pression se succèdent, le PLR tire une troisième canonnade et s’attaque aux salaires avec un projet de loi déliant les HUG de l’application des salaires de l’Etat. Enterrée la garantie d’un salaire fixé selon des critères objectifs, égalitaires et transparents, place aux salaires au mérite évidemment plus bas que ceux actuels. Quant au personnel des cliniques privées, moins bien protégé par une CCT minimaliste, il subit l’appétit féroce des employeurs qui, par deux années de suite, se permettent d’adapter à la baisse les salaires minimaux, soit une perte salariale de plus de 2,2%.
Au profit de qui ? Des assureurs, nous l’avons compris, et des actionnaires des groupes de cliniques privées prêts à se partager la manne financière dégagée par le juteux marché de la santé. Contrairement aux hôpitaux qui sont soumis à l’obligation de prestation et à la loi sur le traitement de l’Etat, les cliniques privées peuvent choisir les bon-ne-s patient-e-s et disposent d’une plus grande latitude pour réduire les frais de personnel , à l’image du groupe Hirslanden, actionnaire à 100% de la Clinique la Colline membre de l’association des cliniques privées de Genève (ACG) qui a dégagé un chiffre d’affaires en hausse de 9% en 2014. Facile d’être concurrentiel avec ces méthodes.
Le constat est donc limpide, le seul prix que la concurrence est à même de faire baisser dans la santé, c’est celui du travail. Si la réponse doit être politique, la résistance est avant tout syndicale. Le SIT continuera de s’y engager, aux côtés du personnel.
Extrait de SITinfo N° 2 - mars 2016