Grèves aux HUG : hors de l’unité syndicale, point de salut !

14 jours de grèves pour les aides-soignant-e-s, 28 pour les nettoyeurs-euses et 35 pour les laborantin-e-s. A l’issue d’un mouvement d’une durée inédite jusqu’ici dans une institution d’une telle taille, il convient de tirer un bilan syndical sérieux, et qui ne sonne pas creux, de ces mouvements qui ont concerné un millier de salarié-e-s. De ces expériences inédites, il y a beaucoup à apprendre pour les luttes de demain.

Résultats des grèves

Tout bilan un tant soit peu sérieux doit aborder sans tabou la question des résultats obtenus, mis en regard avec les revendications initiales, le rapport de force, la durée de la lutte, les stratégies mises en œuvre. Qu’en est-il pour chaque catégorie, et quels enseignements en tirer pour les luttes à venir ? Toutes les aides-soignantes HUG, y compris celles au bénéfice de la prime de gériatrie, qui a tant fait discuter, ont obtenu un résultat positif. Avec "seulement" une classe de plus sur les trois demandées. Mais, par la méthode du coulissement direct sans perte d’annuité, obtenue en lieu et place du coulissement normal, cette classe de plus engendre une augmentation mensuelle équivalant à 3 classes, entre 164 et 290 francs mensuels supplémentaires dès janvier 2012. La situation est très différente pour les nettoyeurs-euses. Seuls les agent-e-s 1 qui passent à agent-e 2 en fonction des besoins du service dès 2012 se verront servir une augmentation mensuelle d’une classe de plus, dont le montant est nettement inférieur. Pour obtenir cette classe supplémentaire, le SSP porte la responsabilité d’avoir thématisé et fait appliquer, pour la première fois dans les services publics genevois, le coulissement inférieur à la loi, soit sans rajout d’annuité. Pour les agent-e-s concerné-e-s, dès janvier 2012, et au prix d’adhérer à la polyvalence requise pour être agent-e 2, l’augmentation mensuelle sera située entre 45 et 89 francs mensuels. Un bien maigre résultat pour une catégorie dont les efforts physiques, d’horaire et le manque de reconnaissance méritaient au minimum un coulissement normal selon la loi, après 28 jours de grève. Vient compléter l’accord, pour les agent-e-s qui n’ont pas obtenu une classe de plus, et qui ont plus de 25 ans d’ancienneté, l’octroi de deux jours de congé annuels supplémentaires, cumulable avant le départ à la retraite. La situation est encore autre pour les laborantin-e-s. Ils-elles devront attendre le 1er janvier 2013 pour voir leur salaire progresser d’une classe par le biais de la création de deux nouvelles fonctions (technicien-ne en analyses bio-médicales 1 et 2) selon le coulissement légal. Ce résultat a été qualifié de décevant par le personnel en termes de reconnaissance de la profession, car il reste éloigné de la classe des infirmières, prise comme référence dans le domaine hospitalier. Mais l’accord précise que toutes les procédures qui pesaient lourdement sur le militant SSP le plus actif et sa collègue, suite à un différend sur le service minimum, ont été levées. D’un point de vue syndical, cet aspect est primordial. Toutefois, il doit être mis en balance avec la clause de paix du travail sur les revendications concernant la fonction jusqu’en juillet 2013, date qui va plus loin que tout ce qui a été articulé jusqu’ici par les autorités en matière d’entrée en vigueur de Score, le nouveau système d’évaluation des fonctions. Le Conseil d’État proclame être en mesure de le faire entrer en vigueur en janvier 2013 et de résoudre toutes les questions de reconnaissance professionnelle. Parce que l’Assemblée des grévistes, faute d’alternative crédible, l’a entériné, le SIT a signé cet accord, mais sans signer le point sur la paix du travail, qui n’engage que le SSP. Autre particularité de cette négociation, qui peut difficilement être tue lors d’un bilan, tant elle est inusuelle, le SSP a dû accepter de négocier avec pour unique représentant le secrétaire syndical central, sans l’apport d’une délégation de membres du personnel, et dans la confidentialité absolue jusqu’à la fin des négociations, sans pouvoir en référer au jour le jour à l’Assemblée des grévistes, comme pratiqué pour les autres grèves. Ces conditions inusuelles, qui empêchent le personnel de s’approprier une étape importante et conclusive du mouvement de grève, ont pesé lourd sur le contenu de l’accord et ses résultats.

Les écueils de la reconnaissance

Les résultats décevants pour les nettoyeur-euse-s et les laborantin-e-s sont en partie liés à ce que le SSP a tout misé sur l’idée de reconnaissance professionnelle, négligeant que celle-ci passe également par la reconnaissance salariale. Les luttes pour la reconnaissance, basées sur les théories du philosophe et sociologue allemand Axel Honneth, permettent certes de mettre en évidence des ressorts efficaces de mobilisation et d’identification à une lutte. Mais le risque est d’entraîner leurs acteurs sur la pente glissante de la pure symbolique. C’est ce que le SIT est tenté d’appeler le "syndrome de la médaille en chocolat". On est prêt, au nom de la reconnaissance, à renoncer à la reconnaissance salariale. Ceci peut à la rigueur s’entendre pour les catégories de la classe moyenne, mais en aucun cas, pour le SIT, il n’est intéressant de l’appliquer pour les bas salaires ni de prôner à tout prix des grèves illimitées qui finissent par être très conséquentes en durée et très courtes en résultats concrets. N’oublions pas que les nettoyeur-euse-s débutent, dans les HUG, à 4’200 francs mensuels, et les aides-soignant-e-s, avant les luttes, à 4’500 francs mensuels ! Des montants pas très éloignés du salaire minimum légal à 4’000 francs que les syndicats demandent pour la Suisse.

Des stratégies très différentes

Alors que les aides-soignantes ont pu compter sur le soutien des deux syndicats historiques des HUG, le SIT et le SSP, les autres mouvements ont été lancés et conduits par le seul SSP. Non pas par inexistence du SIT en termes de membres dans ces secteurs ou par la frilosité du SIT de mener des mouvements de lutte. Mais par la volonté délibérée du SSP de tenir l’autre syndicat à l’écart, allant jusqu’à faire exclure le SIT du mouvement des laborantin-e-s lorsque, appelé par ses membres, le SIT a cherché à y participer. Cette volonté de mener seul, partout où cela est possible, les mouvements de grève du personnel, trahit la conception très particulière que se fait le SSP de la grève : la grève illimitée pour la grève illimitée, et la grève avec le SSP tout seul, seul syndicat véritablement combatif du Canton de Genève, donc de la Suisse… Ainsi, les grèves des laborantin-e-s et des nettoyeur-euse-s, dont les revendications initiales étaient adressées au Conseil d’État, débutent un jeudi alors que ce dernier se réunit le mercredi. Pour espérer avoir un échange avec l’interlocuteur visé, il était ainsi assuré que la grève dure au moins six jours. Cette relégation des revendications des salarié-e-s au deuxième plan est encore plus patente en termes de formulation et de thématisation, que ce soit auprès du reste du personnel des HUG, ou également à l’égard des médias et finalement de la population : des résolutions synthétiques et génériques tenant sur une page, sans argumentation étayée ; pas de courrier, ni d’argumentaire spécifique adressé à la direction et au Conseil d’État. Pourtant, le manque de reconnaissance de la fonction d’agent de propreté, les profonds changements intervenus les 15 dernières années dans la fonction de laborant-e-s, tout aussi profonds que les changements intervenus pour la fonction d’aide-soignant-e, auraient mérité d’être portés à la connaissance de tous, consolidant par là la légitimité des revendications et de la lutte en cours. Le même traitement mutique a été réservé à la question sensible de l’organisation du service minimum pour les laboratoires, ce alors que s’agissant d’analyses nécessaires aux diagnostics et aux traitements, toute faille pouvait être habilement exploitée par la direction. Qui ne s’en est pas privée, avec les conséquences que l’on sait.C’est ainsi qu’il a fallu près d’un mois pour entrevoir des pistes de sortie de l’écueil de la réévaluation de la fonction de laborantin-e à propos de laquelle le Conseil d’État avait dit d’emblée qu’il n’entrerait pas en matière. C’est ainsi également qu’il a fallu trois semaines, avec le retour du SIT dans le mouvement à la demande du SSP, suite aux procédures initiées par la direction à l’encontre de son principal militant, pour que s’ouvrent des espaces de négociations. Tout autre a été la conduite du mouvement des aides-soignants-es. Dès le départ, échéances et espaces de discussions et négociations ont été soigneusement réfléchis et certains étaient déjà connus. Ce qui a permis, entre autre, de suspendre sans états d’âme à deux reprises, la grève, et de savoir la recommencer, et de ne pas épuiser inutilement les grévistes. Par ailleurs, dès le début se sont tenues en Assemblée des discussions sans tabou autour des résultats possibles du mouvement. L’exposition quotidienne des différentes options, et parfois des divergences d’appréciation et de tactiques entre les deux syndicats, est une plus-value inestimable qui a permis que les grévistes soient en mesure de confronter les pistes, puis de se positionner en toute connaissance de cause, et de saisir collectivement les opportunités lorsqu’elles se sont présentées. Et même si le SSP a finalement lâché le mouvement en ne signant pas le protocole d’accord, les grévistes ont pu profiter pleinement de l’apport de celui-là en termes de force de mobilisation et de dialectique. S’il y a un enseignement global à tirer de ces mouvements de grève pour le SIT, c’est bien celui-ci. L’unité d’action, l’échange dialectique et démocratique en Assemblée, l’apport en termes de connaissance et d’analyse des divers syndicats est plus profitable à la force du mouvement et à la capacité à obtenir des résultats tangibles que la voie solitaire de la grève pour la grève. Hors de la vieille bonne unité d’action syndicale, soutenue par la démocratie des Assemblées, point de salut pour les luttes des salarié-e-s !

Julien Dubouchet et Manuela Cattani

Extrait de Sit-info de janvier 2012