Le projet de fusion des caisses de pensions CIA et CEH a fait l’objet, à l’issue de très longues négociations, d’un accord entre l’État employeur et le Cartel intersyndical qui s’est prononcé à l’unanimité moins les voix du SSP. Aujourd’hui déposé par le Conseil d’État, le projet de fusion n’est plus combattu que par le seul SSP qui appelle à la mobilisation et menace de référendum si la loi devait être acceptée telle quelle. Dans ce contexte de division syndicale et d’attaques contre le Cartel, et en particulier le SIT, il paraît indispensable de faire le point sur ce qu’est la fusion… et ce qu’elle n’est pas.
Ce projet de fusion intervient dans un contexte de modifications législatives adoptées au niveau fédéral et qui s’imposent à notre canton sans que nous ne puissions plus rien y faire. Un projet de référendum fédéral avait vu le jour en son temps, avec l’appui du SIT, mais n’avait pu se concrétiser faute de soutiens, pas même celui du SSP national. Il est donc essentiel, au moment de faire l’évaluation du projet du Conseil d’État, de distinguer ce qui ressort de celui-ci de ce qui découle des contraintes fédérales et que le SSP tend à mettre sur le compte du projet de fusion.
En parlant de « vol des rentes », le SSP sous-entend que l’on va détourner les cotisations des affilié-e-s pour remplir les poches des acteurs financiers. Outre que nos caisses sont à but non-lucratif, et ne versent d’autres dividendes qu’à leurs membres – les salarié-e-s et les pensionné-e-s – l’augmentation du degré de couverture à 80%, qui implique effectivement une recapitalisation des caisses publiques, résulte de la modification de la législation fédérale et ne saurait donc être imputée au projet de fusion. Critiquer les principes de financement sur lesquels repose la LPP est juste. Dénoncer l’aveuglement d’un législateur qui renforce le niveau de capitalisation des caisses au moment où l’avenir des rendements du capital est plus que jamais incertain l’est également. Mais en tirer la conclusion qu’il faut refuser la fusion entre la CIA et la CEH, c’est lâcher la proie pour l’ombre. Opposé depuis toujours à la prévoyance professionnelle telle qu’elle est conçue en Suisse (absence de solidarité entre les revenus et capitalisation), le SIT considère que le moment est en effet venu de relancer le débat au niveau national sur la fusion des 1er et 2ème piliers et la mise en place, enfin, d’une retraite de base assurant de dignes conditions d’existence pour toutes et tous. Mais ce n’est pas en refusant un projet inscrit dans le cadre du deuxième pilier que l’on va remettre en cause celui-là : il faut s’attaquer au cadre directement.
Quand il dénonce la fin du couplage automatique entre l’indexation des traitements et celle des rentes, le SSP dénonce à nouveau un résultat des réformes fédérales, et non du projet en tant que tel. En effet, la nouvelle législation interdit désormais à une caisse de fixer à la fois le financement et les prestations des retraites. Seules les prestations seront désormais à disposition du comité de la Caisse comme marge de manœuvre pour assurer l’équilibre financier. Ce qui fait sauter la clause jusqu’ici en vigueur d’une indexation parallèle des rentes et des salaires. Le SSP oublie de surcroît de mentionner que l’indexation des rentes est dans le projet assurée à hauteur de 1% par an en moyenne par un provisionnement exprès. Ce taux correspond au niveau effectif de l’indexation ces dernières années. Cela est une amélioration à la fois par rapport à ce que vise le droit fédéral, dont l’objectif est de restreindre la possibilité d’indexer les rentes à des situations pratiquement exceptionnelles et par rapport à ce qu’ont effectivement connu les retraités dans les années 90, avec les blocages successifs des mécanismes salariaux. Des blocages, faut-il le rappeler, auxquels il a été mis fin suite à l’accord de 2008 entre Cartel et Conseil d’État sur le nouveau système de rémunération (remplacement de la prime de fidélité par un 13ème salaire), accord que le SSP avait rejeté. Le SIT est évidemment pour l’indexation de tous les revenus, qu’il s’agisse de revenus directs ou indirects du travail ou de la redistribution sociale. C’est à ce titre qu’il a encore récemment combattu les tentatives de désindexation partielle des rentes dans le cadre de l’AVS. Dans celui de la nouvelle législation, on ne voit pas comment il aurait été possible de mieux ancrer l’indexation des rentes que dans l’actuel projet de fusion.
Le SSP déplore qu’à l’avenir les instances démocratiques de nos caisses assemblée des délégué-e-s à la CIA, assemblée générale à la CEH n’auront plus qu’un pouvoir strictement consultatif. Outre que cela est déjà sensiblement le cas, c’est surtout à nouveau attribuer au projet de fusion des « mérites » qu’il n’a pas. En effet, le renforcement des prérogatives du Comité, en tant qu’unique instance décisionnaire des caisses découle, une fois encore, de la législation fédérale. Fervent promoteur de la participation des salarié-e-s aux décisions qui les concernent, le SIT ne peut que regretter l’affaiblissement démocratique dans la gestion des caisses, mais il déplore surtout un cadre législatif qui réduit la marge de manœuvre des représentant-e-s du personnel au point de vider le paritarisme de son sens. Une fois encore, il s’agit de ne pas se tromper de cible.
Une fois rendu à César ce qui lui appartient, que reste-t-il des critiques du SSP ? Que la fusion entraîne de payer plus, plus longtemps pour toucher moins, et que c’est inacceptable ? Si évident que puisse paraître ce constat, il souffre néanmoins de telles réserves qu’il devient beaucoup moins évident d’en tirer la même conclusion.
Quand on parle du niveau des rentes, il faut évidemment comparer celles que l’on obtient à l’issue d’une carrière complète, au sens des périodes de cotisations, et que l’on peut appeler « l’objectif de rente ». Et là, force est de constater que tout le monde ne voit pas ses rentes « fondre » de la même manière. Si des salarié-e-s en classe 23, avec une pension (AVS + LPP) actuelle de 120’583 francs par an verront à terme, soit dans une quarantaine d’années, quand les mesures transitoires ne déploieront plus d’effet, leur rente diminuer de 8%, pour atteindre 110’878 francs, les salarié-e-s en dessous de la classe 10 verront quant à eux leurs rentes légèrement augmenter, jusqu’à 2% pour une classe 5 (soit un passage de 58’071 francs à 59’213). Passer sous silence que le nouveau calcul du traitement déterminant est plus solidaire en termes de revenus est pour le moins singulier de la part d’un syndicat !
« Peut-être » rétorquera le SSP face à la nature têtue des faits, « mais, pour cela, il faudra travailler plus longtemps et plus tard », références faites à l’augmentation de la durée des cotisations et au report de l’âge pivot. Cette nouvelle évidence masque le fait qu’en dépit de l’allongement de la durée de cotisations et de leur départ différé, les futur-e-s retraité-e-s le seront plus longtemps que leurs prédécesseur-euse-s. Et qu’au final, elles-ils toucheront un montant de rentes cumulées plus important. C’est ici un fait que l’on peine encore à voir. La baisse tendancielle historique du temps de travail a en fait changé de nature avec la création des retraites : d’une baisse de la durée hebdomadaire du travail, on est passé également à une baisse viagère du temps de travail qui occupe une part toujours moindre de l’existence. Ce progrès a certes un coût aujourd’hui – consacrer toujours plus de la fortune sociale aux retraites, comme d’ailleurs aux soins - mais comment s’en plaindre ? Quant à l’âge pivot, le SSP ne fait que d’en dénoncer le report à 63 ans. Le SIT, quant à lui, a préféré défendre la reconnaissance du principe de la pénibilité physique du travail, obtenant ainsi le maintien d’un âge pivot à 60 ans pour près d’un quart de l’effectif de la future caisse, soit notamment pour l’immense majorité des professions soignantes des HUG. Résultat négligeable pour le SSP ? Les infirmier-ère-s et aide-soignant-e-s apprécieront.
Quand il s’en prend aux hausses de cotisations, le SSP fait semblant de croire que l’on pourrait maintenir les prestations actuelles sans toucher aux cotisations des salarié-e-s. En oubliant de rappeler que sur les bases actuelles, il faudrait une cotisation à plus de 35% (au lieu de 24% actuellement) pour financer un plan de prestations équivalent. Au vu de l’actuelle répartition 2/3-1/3 des cotisations, cela signifie que la quote-part de l’employeur devrait passer de 16% aujourd’hui à 27% demain, puisqu’il s’agirait de maintenir celle des salarié-e-s au niveau actuel de 8%. On passerait alors d’un système où l’employeur prend à sa charge 66.6% des cotisations à un système où il en assumerait plus de 77%. Au moment où la participation de l’employeur est déjà jugée excessive par la majorité du parlement et que nos amis français, pour ne prendre qu’un exemple, viennent de voir leur âge de retraite relevé brutalement de 2 ans (après avoir essuyé déjà de nombreuses réformes ces dernières années, conduisant à l’horizon 2046 à une baisse de plus de 20% du taux de remplacement de leur dernier salaire – cf. Alternatives économiques, avril 2010), on voit mal par quel miracle on réussirait, à Genève, à obtenir l’exact inverse de tout ce que l’on a pu observer ailleurs ces dernières années. Pour revenir à des perspectives plus réalistes, et donc à une répartition à 2/3-1/3, qui est déjà nettement plus favorable aux salarié-e-s que ce que l’on trouve dans le privé, le maintien intégral des prestations aurait conduit nécessairement à une hausse plus importante des cotisations. Et c’est bien là que le personnel paye dans cette fusion un tribut proportionnellement plus important que l’employeur : en ne parvenant pas à obtenir de l’État un taux de cotisation supérieur, une partie du financement repose nécessairement sur des diminutions de prestations, qui, elles, ne pèsent que sur les employé-e-s.
Cette seule et dernière vérité suffirait-elle à considérer le projet de fusion comme inacceptable ? Peut-être, mais faudrait-il alors en assumer la seule alternative crédible : revendiquer encore plus de hausses de cotisations ! Et peut-être faudrait-il encore mettre cette vérité en regard de ce que le projet de fusion préserve de notre système de retraites :
le maintien du système de primauté de prestations (garantie des prestations) ;
le maintien de la participation de l’employeur à 2/3 des cotisations ;
le maintien des prestations déjà acquises (mesures transitoires) ;
le maintien du niveau des rentes des bas salaires ;
l’affiliation du personnel des EMS à la nouvelle caisse ;
la garantie d’une retraite suffisante pour toutes et tous ;
la prise en compte de la pénibilité du travail, qui
permettra à plus de 8’000 personnes, très majoritairement des membres actuels de la CEH, de pouvoir continuer de partir à 60 ans sans pénalités ;
une augmentation de cotisations progressive et différenciée (plus rapide à la CIA qu’à la CEH).
C’est dans cette mise en perspective que le SIT diverge fondamentalement du SSP sur ce dossier. Ayant analysé d’emblée la faible marge de manœuvre laissée par le cadre législatif contraignant et un contexte politique peu favorable – dont l’absence de réaction du personnel aux alertes syndicales (assemblées générales très peu fréquentées et manifestations faméliques) – le SIT s’est surtout battu pour préserver ce qui est pour lui prioritaire, dans le cadre du Cartel intersyndical comme au cours des négociations avec le Conseil d’État. C’est ainsi qu’ont été obtenues des mesures aussi importantes que la protection des bas salaires, via un accroissement de la solidarité du système, et le maintien de leur âge de départ à la retraite de 60 ans pour l’essentiel des professions de la santé, par la reconnaissance de la pénibilité de leur travail. Ce sont notamment ces éléments qui ont convaincu le SIT, au travers d’un long processus d’élaboration interne avec ses militant-e-s, que le projet négocié avec l’État était le meilleur possible. Et le fait que le SSP ne soit pas capable de reconnaître les améliorations obtenues, ni même de faire la moindre proposition concrète en dehors d’un appel incantatoire à la mobilisation (mais pour faire pression sur qui ? Et pour obtenir quoi ?) n’a pu que conforter le SIT dans son optique.
Entre la posture idéologique du SSP et les potentialités réactionnaires d’une partie de la droite qui depuis longtemps ne rêve que d’imposer primautés des cotisations et répartition 50-50 de celles-ci à la fonction publique, le SIT est persuadé d’avoir eu raison de privilégier les intérêts concrets des salarié-e-s, et parmi elles-eux, prioritairement celles et ceux qui ont les conditions de travail les plus dures et sont les moins bien payé-e-s.
Julien Dubouchet-Corthay
Septembre 2011