Communiqué du 8 mars 2024 - NON à une ouverture des magasins sur le dos des vendeuses

Le 8 mars est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Mais c’est aussi le délai qu’a choisi, non sans ironie, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) pour clore la consultation sur un projet de révision de l’ordonnance 2 relative à la loi sur le travail (OLT2) concernant l’extension du travail du dimanche dans les quartiers touristiques urbains.

Non sans ironie car l’une des conséquences majeures d’une telle extension du travail du dimanche serait de renforcer les inégalités entre femmes et hommes en faisant porter une grande partie des coûts aux travailleuses, surreprésentées dans le secteur du commerce de détail.

De manière générale, cette révision, qui entraînerait une libéralisation non contrôlée des conditions de travail dans ce secteur, ne garantit aucune compensation tangible pour les travailleuses et travailleurs concerné-e-s. Sans compter que les Genevois-e-s se sont déjà exprimé-e-s à plusieurs reprises sur le sujet, faisant savoir leur désaccord avec l’ouverture des commerces le dimanche sans protection adéquate des salarié-e-s, et que cette révision constituerait en cela un contournement dangereux de la volonté populaire.

Retrouvez ici la prise de position complète du SIT.

1) Une révision en contradiction avec le premier objectif de la Loi sur le travail
L’objectif premier de la Loi sur le travail est la protection des travailleuses et des travailleurs. Or, dans le secteur du commerce de détail, les horaires sont déjà très étendus aujourd’hui, notamment avec la possibilité d’ouvertures retardées hebdomadaires et le travail du samedi, ainsi que l’ouverture du dimanche sous certaines conditions. Le quotidien d’horaires coupés, de plannings remis tardivement et de changements de dernière minute pèsent aujourd’hui déjà fortement sur la santé des travailleuses et travailleurs du secteur.

Rappelons également que le travail dans le secteur du commerce de détail est difficile autant sur le plan physique que psychique, avec le port de charges, des mouvements répétitifs, le travail debout, mais également l’exposition constante à des clients qui peuvent avoir des comportements irrespectueux, sexistes, voire parfois violents.

De nombreux employeurs peinent déjà aujourd’hui à respecter leurs obligations en matière de protection de leurs employé-e-s, notamment en ce qui concerne l’organisation des plannings et de mise en place de dispositifs de prévention des risques psychosociaux.

L’extension de la possibilité d’employer du personnel le dimanche telle que prévue par le projet de révision de l’OLT2, en ajoutant des difficultés supplémentaires au personnel en matière de conciliation entre vie privée et vie professionnelle, viendrait donc aggraver la pression sur les employé-e-s et les atteintes à leur santé.

2) Une atteinte à la vie familiale
La modification de l’OLT 2 ne changerait rien aux principes sociaux, culturels et religieux qui font du dimanche le jour de repos hebdomadaire. Il constitue ainsi l’unique jour de la semaine qui permet à une grande majorité de la population active d’entretenir des contacts sociaux avec, notamment, la famille.

Non seulement l’extension du travail du dimanche porterait atteinte à la possibilité des travailleuses et travailleurs concerné-e-s d’entretenir leurs liens sociaux, mais elle constituerait également un obstacle au respect de leurs obligations familiales.

Alors que l’article 36 de la LTr prévoit que les personnes ayant des responsabilités familiales ne peuvent être appelées à fournir du travail supplémentaire que si elles y consentent et peuvent demander des pauses de midi prolongées, on voit qu’en pratique, et en absence d’une réelle protection contre le licenciement, les travailleuses et travailleurs se trouvent souvent dans une impossibilité d’exercer leurs droits découlant de l’article 36. De plus, cet article ne se réfère qu’au travail supplémentaire, et ne serait donc, même théoriquement, pas applicable à une planification ordinaire du travail le dimanche.

Le dimanche étant un jour sans école ni crèche, l’extension du travail du dimanche compliquerait drastiquement pour le personnel l’organisation de sa vie privée, faisant de ce jour un jour de stress infernal à la place d’un jour de repos.

3) Une modification d’ordonnance inégalitaire dans les faits
Les femmes étant majoritaires dans le secteur du commerce de détail, l’extension du travail du dimanche toucherait d’avantage cette population qui subit déjà des inégalités structurelles (discriminations salariales et quasi-absence de contrôles dans le domaine, temps partiels contraints, faibles retraites, codes vestimentaires sexistes, etc.).

De plus, puisqu’au sein des familles et de la société la charge de travail non rémunérée continue à être mal répartie et majoritairement effectuée par les femmes, l’extension du travail du dimanche entraînerait des conséquences négatives plus fortes sur les femmes qui, aujourd’hui déjà, doivent jongler entre leurs responsabilités familiales et les horaires étendus de leur travail salarié dans le commerce de détail.

Il serait illusoire de croire que contraindre les femmes à travailler les dimanches dans la vente mènerait automatiquement à une augmentation de la prise en charge du travail non rémunéré par la gent masculine. L’Histoire démontre au contraire que l’arrivée d’un certain nombre de femmes sur le marché du travail n’a pas mené à une répartition plus égalitaire du travail non rémunéré entre hommes et femmes.

4) Absence de garantie de compensations suffisantes
Une extension des horaires aux dimanches, au vu de ses impacts majeurs évoqués ci-dessus, ne serait admissible qu’accompagnée de compensations très importantes de nature à annuler le préjudice subi : réduction substantielle de la durée du travail sans perte de salaire, contrôles et sanctions des discriminations salariales, réelle prise en prise en compte des responsabilités familiales, plus grande anticipation des plannings de travail, instauration de véritables dispositifs de protection contre le harcèlement et les violences sexistes, instauration d’un véritable congé parental, et reconnaissance de la pénibilité physique du travail par un système de retraite anticipée.

Or, la proposition de révision de l’OLT2, se limitant à prévoir le principe d’une compensation supérieure aux minimas légaux, ne donne aucune garantie d’introduction de ce type de compensations.

5) Une révision coûteuse pour la collectivité et le personnel
Contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport explicatif, la tâche supplémentaire de contrôle ne se limite pas uniquement à la phase initiale de la mise en œuvre du nouvel article et à la définition des quartiers concernés. Les nécessités de contrôle augmenteraient sensiblement et de manière pérenne. Ne pas prévoir des ressources supplémentaires reviendrait donc à ne pas ou mal faire ces contrôles, ou alors à les réaliser au détriment d’autres contrôles.

Aujourd’hui déjà, l’insuffisance des contrôles fait perdre plusieurs millions par an à l’État et aux assurances sociales, comme l’ont admis récemment le Canton de Genève, les caisses de compensation AVS et la SUVA.

Il va donc de soi qu’une implémentation sérieuse de la modification de l’OLT2 ne se ferait pas sans coûts supplémentaires.

Quant aux hypothétiques nouvelles recettes fiscales que générerait l’ouverture des commerces le dimanche, elles seraient rapidement annulées par les politiques de défiscalisation du bénéfice des entreprises, et par les coûts sociaux et environnementaux qu’induiraient ces ouvertures.

Pour le surplus, le SIT rejoint les réserves émises par la Communauté genevoise d’action syndicale et l’Union syndicale suisse, notamment sur l’aggravation de sous-enchère salariale qu’induirait cette révision de l’OLT2, sur le caractère vague, voire arbitraire, des critères d’application qu’elle prévoit, sur l’absence d’un besoin économique avéré, et sur le contournement de la volonté populaire exprimée de manière contraire à plusieurs reprises par les Genevois-es.

Enfin, le SIT rappelle que l’extension des horaires d’ouverture des magasins le dimanche impacterait de la même manière d’autres branches, notamment celles du nettoyage, de la logistique et de la sécurité.

En conclusion, le SIT s’oppose sur le fond au projet de révision de l’ordonnance 2 relative à la Loi sur le travail car

• elle renforcerait les inégalités entre femmes et hommes en faisant porter une grande partie des coûts aux travailleuses, surreprésentées dans le commerce de détail ;
• elle ne garantit aucune compensation tangible pour les travailleuses et travailleurs concerné-e-s ;
• elle entraînerait une libéralisation non contrôlée et ne répondant à aucun besoin du travail du dimanche ;
• elle constituerait un contournement dangereux de la volonté populaire exprimée en matière d’horaires d’ouverture des commerces.