Protection de la grossesse et de la maternité : des patrons de la restauration au-dessus des lois

Communiqué de presse du 31 mai 2023

En 2023, à Genève, le fait d’être enceinte ou d’avoir un enfant reste un facteur majeur de discriminations, notamment au travail. Deux travailleuses membres du SIT témoignaient de leur expérience professionnelle traumatisante dans la restauration. Leurs témoignages soulèvent la question de la protection des personnes enceinte, mais également la capacité à faire appliquer les lois existantes ainsi que diverses problématiques d’accès à ses droits en matière de logement et de précarisation due au permis de séjour.

Des protections peu développées et souvent non-respectées
Selon la loi, l’employeur est tenu d’apporter une attention particulière aux personnes enceintes. Il ne peut notamment pas les licencier dès le début de la grossesse, et cela même si la salariée n’est pas au courant de sa grossesse. Si son poste de travail est pénible ou dangereux, il doit lui proposer une alternative ou lui verser 80% de son salaire. De plus, une femme enceinte qui ne se sent pas bien peut ne pas se rendre au travail ou le quitter sans préavis. Enfin, suite à l’accouchement, elles peuvent compter sur une période de protection contre le licenciement de 16 semaines.

Malgré ces diverses protections, de nombreuses femmes enceintes ou ayant eu un enfant rencontrent de multiples difficultés. Selon différentes sources, dont notamment une étude de Travailsuisse et une enquête du Blick menées en 2018 et 2019, une femme accouchée sur dix perdrait son emploi. Un rapport du Conseil fédéral le confirme : annoncer sa grossesse à son employeur n’est pas anodin. 7% des employeurs réagissent en annonçant à l’employée enceinte qu’ils mettront fin au contrat une fois la période de protection contre le licenciement terminée. De plus, 11% proposent de mettre fin aux rapports de travail « d’un commun accord », contournant ainsi la protection légale contre le licenciement des femmes enceintes ou en congé maternité.

Maria, virée et expulsée de son logement par son patron
Maria* a été licenciée début janvier après avoir annoncé à son patron qu’elle été enceinte. En raison d’une grossesse à risque, son médecin lui a imposé un arrêt de travail, qui se poursuit jusqu’à présent. En plus de cela, son employeur l’a expulsée sans préavis de son logement qu’il lui sous-louait en changeant les serrures, séquestrant ses affaires, ses documents officiels et son mobilier. Sans aucun revenu entre début janvier et début mai, elle n’a pas pu obtenir l’aide de l’Hospice général, son permis étant échu et pas en cours de renouvèlement. Elle dort actuellement sur les canapés d’ami-e-s, changeant de lieu de vie régulièrement. Suite à sa visite au SIT fin mars, et grâce aux demandes répétées de cette dernière et de son syndicat afin de faire valoir ses droits, le patron a fini par lui verser ses salaires début mai, soit avec plus de trois mois de retard. Une partie de ses affaires lui ont par ailleurs été restituées.

Dans l’hypothèse où le patron aurait refusé de reconnaître les droits de son employée, seule une longue procédure en justice au Tribunal des Prud’hommes lui aurait permis de faire valoir ses droits et d’être payée. Une procédure durant laquelle elle se serait retrouvée sans un sou, avec un droit à l’Hospice général inexistant, sans permis de séjour valable et sans logement. Au vu de sa situation précaire et en raison de sa grossesse à risque, il est très compliqué, voire impossible financièrement, d’entreprendre les différentes démarches lui permettant d’obtenir l’aide de l’Hospice général, ses droits concernant son bail de sous-location, récupérer ses affaires via un dépôt de plainte à la police et les démarches afin de récupérer son permis de séjour.

Anita, licenciée au dernier jour de son congé maternité
Anita* a reçu une lettre de licenciement datée de son dernier jour de congé maternité, alors même qu’elle avait transmis un arrêt de travail en raison d’une incapacité à reprendre son travail. Tandis qu’elle était mal en point et qu’elle s’occupait de son nouveau-né, elle a dû se démener plusieurs mois durant afin d’obtenir le versement d’indemnités chômage. En raison de mauvais conseils reçus, ce n’est qu’après plusieurs mois qu’elle pousse la porte du SIT et que l’on réalise que ses droits ont étés bafoués à la fin de son congé maternité. La loi prévoit en effet qu’un licenciement soit contesté avant la fin du délai de congé.

La pointe de l’iceberg
Ces deux situations ne représentent que la pointe d’un iceberg. De nombreuses femmes discriminées par leurs patrons en raison de leur genre poussent fréquemment la porte du SIT. C’est le cas au moment de l’embauche où on leur demande si elles comptent avoir un enfant, lors d’une grossesse lorsqu’on essaie de les licencier en violation complète du droit, lorsqu’on les licencie à leur retour de congé maternité… La société patriarcale que nous subissons les réduit à un rôle de reproduction, leur rappelant que le droit à une activité professionnelle ne leur appartient pas. Par ailleurs, au travers des discriminations subies par Maria, c’est la situation de milliers de femmes précarisée par leur statut de séjour qu’il s’agit également de dénoncer. Femme, précaire, étrangère, avec ou sans papiers, sont autant de facteurs générant des discriminations supplémentaires, des discriminations qui s’articulent pour se renforcer les unes aux autres.

Pour en finir avec les discriminations liées à la grossesse et à la maternité
Alors qu’elles subissent déjà des discriminations liées à leur genre et qu’elles sont insuffisamment protégées par la loi, quand elles tombent enceintes, rien ne garantit que les droits de ces personnes soient rapidement mis en œuvre. Si les situations de nos membres sont théoriquement protégées par les lois, les possibilités de les faire appliquer rapidement manquent car des sanctions sérieuses ne sont pas prévues par la loi.

Dès lors, le SIT réclame également que l’indemnité maximale allouée soit augmentée, de six mois à douze mois (art. 336a CO). A ce jour, malgré diverses initiatives parlementaires déposées dans ce sens auprès des Chambres fédérales, aucune mesure n’a encore été prise pour modifier cette protection insuffisante. Sans sanctions plus fortes, le non-respect des lois ou leur contournement par de nombreux patrons resteront monnaie courante.

Une protection contre le licenciement d’un an
Pour le retour à l’emploi, le SIT réclame que la période de protection contre le licenciement après l’accouchement passe de 16 semaines à douze mois au moins, pour empêcher que les jeunes mères perdent leur emploi et soit remplacées par une autre personne (art. 336. al. 1 let c CO). Il est urgent que les autorités fédérales se saisissent de ce dossier afin d’instaurer enfin une vraie protection des femmes contre le licenciement discriminatoire au retour de congé maternité.

Enfin, outre de ces évolutions légales indispensables, nous avons également besoin de changements structurels permettant de partager de manière égalitaire la responsabilité de la santé sexuelle et reproductive ainsi que la charge de la vie familiale, comme une réelle égalité salariale, un congé parental de durée obligatoirement égale pour chaque parent sans régression du congé maternité et une augmentation des solutions de garde dans l’accueil à la petite enfance à prix fortement réduits.

Le 14 juin prochain, mobilisons-nous afin de lutter contre ces injustices !

*Noms d’emprunt