Lors de nos permanences, les employées de maison racontent toutes la même histoire. Celle de la peur au ventre et de la précarité économique.
Mon histoire est semblable à celles des employées de maison que je rencontre lors des réunions syndicales au SIT. En mars et avril dernier, nous avons continué à échanger par vidéoconférence et cela a été un moment de réconfort et de partage car nous éprouvons plusieurs types de peurs. La première, celle d’être contaminée et de propager le virus à des personnes vulnérables dont nous avons la charge. Puis, la peur de perdre notre emploi et ne plus pouvoir payer les factures, perdre notre logement, finir à la rue ou aux poursuites et perdre tout espoir d’obtenir un permis de séjour.
Alors, nous prenons des risques pour notre santé en prenant des transports publics bondés. Nous nous équipons par nous-mêmes, en masque, en gel hydroalcoolique. Des équipements chers qui impactent notre budget. Malgré les efforts, bon nombre d’entre nous a perdu tout ou partie du revenu. Nous n’avons pas le courage de réclamer les salaires et acceptons de compenser les heures perdues. Celles qui ont tenté de le faire sont entrées en conflit avec leur employeur, elles ont été licenciées.
Invisible hier, dans l’oubli aujourd’hui
Du jour au lendemain, on se retrouve sans rien. Invisible hier, dans l’oubli aujourd’hui. Sans aide financière possible. Les employées de maison n’ont pas droit au chômage partiel. Les personnes sans statut légal n’ont droit à rien du tout sauf au mépris de certains employeurs qui refusent de les déclarer aux assurances. Rien à part les longues heures d’attente pour recevoir un panier de provision.
Je suis Laura, j’ai 64 ans, je travaille comme employée de maison à Genève depuis plus de 20 ans. J’ai gardé des enfants, fait le ménage, préparé les repas, pris soins de personnes âgées. Aujourd’hui, j’ai 5 employeurs différents.
Pendant la première vague certains employeurs étaient terrorisés par le virus. Je devais nettoyer les pièces communes, les poignées de porte, faire les à-fonds avec des produits toxiques qui m’ont brûlé les mains. Au bout de deux semaines, je n’en pouvais plus, j’ai eu peur pour ma santé, j’ai refusé de travailler dans ces conditions. J’ai perdu 400 frs sur un budget de 1700 frs. J’y suis retournée.
Notre dignité de travailleuses
Comme tant d’autres dans ma situation, j’ai pleuré de joie lorsque le parlement genevois a voté une indemnité pour les travailleuses précaires. Enfin un aide pour nous aussi, enfin une reconnaissance de notre dignité de travailleuses. Mais elle a été combattue par référendum. Honte à celles et ceux qui l’on lancé.
Aujourd’hui, ma situation comme celle de mes camarades reste difficile. Le virus est de plus en plus actif et les employeurs nous en demandent toujours plus. Sous leur regard en télétravail, faire les à-fonds est notre quotidien. Observées en permanence, contrôlées, pressées de ne pas être assez rapides ou consciencieuses, nous nous sentons humiliées.
Et les files, toujours les files pour un cabas d’aide alimentaire. Elles ne sont plus aussi longues, car décentralisées, mais nous y sommes toujours aussi nombreuses, à attendre dans le froid.
Mais je garde espoir. La population a voté en septembre dernier pour un salaire minimum à 23 frs de l’heure. Tous les patrons ne le respectent pas encore, mais ils vont bien devoir le faire, tôt au tard. Et dans quelques semaines, le 7 mars, le peuple genevois votera sur l’indemnité pour les travailleuses et travailleurs précaires. Et j’ai bon espoir qu’il vote pour nous rendre notre dignité, que les référendaires et certains employeurs tentent toujours en encore de nous refuser.
Mirella Falco
Publié dans SITinfo de février 2021