Basé sur ses trois piliers d’une rente de base financée en répartition (AVS), d’une rente complémentaire professionnelle obligatoire (LPP) et d’une épargne facultative partiellement défiscalisée, le système suisse ne prend pas en tant que telle en compte la pénibilité du travail. Avec un âge légal de la retraite identique pour tous, même si encore inférieur d’une année pour les femmes, et une réduction de type actuarielle pour les deux années d’anticipation de rente possibles (la rente est diminuée de 13,6% pour celui ou celle qui désire cesser son activité professionnelle à 63 ou 62 ans respectivement), et en dépit de revendications syndicales de longue date, le législateur est resté jusqu’à présent sourd à la demande de pouvoir moduler l’âge de la retraite en fonction des carrières professionnelles. Tout juste a-t-il daigné améliorer quelque peu le sort des femmes dont la carrière est interrompue pour prendre en charge l’éducation des enfants, au moyen du bonus éducatif.
Dans le cadre du deuxième pilier, rien n’est non plus prévu par le législateur. Toutefois, l’organisation concrète de la prévoyance professionnelle fait que nombres de caisses, notamment dans les fondations communes qui regroupent les employeurs d’une même branche d’activité, ont une population assez homogène qui permet d’éviter la socialisation du risque différencié de longévité. Ainsi, s’ils ont une espérance de vie moindre que les autres, les ouvriers du bâtiment ne cotisent que pour eux-mêmes et donc peuvent obtenir, pour le même prix, de meilleures prestations, étant entendu qu’ils les toucheront moins longtemps.
Par ailleurs, étant donné les effets de la pénibilité du travail sur la capacité d’exercer son métier dans la durée, il faut encore considérer l’assurance invalidité (AI) qui est souvent sollicitée en fin de carrière et qui, de fait, est amenée à jouer le rôle d’un dispositif de préretraite. Et là, le tableau est particulièrement sombre et notamment pour les personnes non qualifiées avec des salaires modestes, ce qui va généralement de pair. En effet, en basant sa décision d’attribuer une rente sur la différence entre le salaire réalisé, dans le métier que la personne ne peut plus exercer, et le gain hypothétique qu’elle pourrait réaliser dans une profession adaptée à son état de santé, mais sans tenir compte des chances réelles de la personne en fonction du marché du travail, l’AI est très restrictive car elle trouve presque toujours une profession théoriquement accessible à l’assuré-e (c’est le cas symptomatique du gardien de musée !). Par ailleurs, les salaires de référence retenus par l’AI sont manifestement surestimés pour les professions non-qualifiées, ce qui renforce ce phénomène de « gain hypothétique » très hypothétique. Il faut encore souligner que l’accès à la rente est encore rendu plus difficile par le fait d’exercer une profession à temps partiel, ce qui est le cas de la grande majorité du personnel soignant, qui trouve là souvent la seule manière de supporter ses conditions de travail sur le long terme.
Dans ce contexte, que peut un employeur comme le Canton de Genève ? Il n’a évidemment guère de prise sur les lois concernées (AVS, LPP, AI) dès lors qu’elles sont de niveau fédéral. Par contre, il peut très bien prendre des mesures complémentaires qui sont de son ressort. Il y a évidemment déjà les mesures de prévention et celles d’aménagement des fins de carrière (libération des tâches les plus lourdes, limitation des horaires atypiques, voire réduction du temps de travail sans réduction de salaire, comme le prévoyait d’ailleurs un accord aux HUG qui n’a malheureusement jamais été mis en oeuvre). En matière d’AVS, le dispositif du PLEND est un bon exemple de dispositif qui assure un pont AVS pour les retraites anticipés. En matière de deuxième pilier, l’adoption d’un plan qui permet de prendre une retraite pleine plusieurs années avant l’âge légal est évidemment une manière de répondre à une partie du problème, comme c’est le cas aujourd’hui.
Mais dans le cadre d’une caisse très hétérogène comme le sera la future caisse, le problème se pose, si on ne veut pas se retrouver dans les difficultés financières induites par un âge pivot bas pour toutes et tous, de définir des collectifs d’assuré-e-s bénéficiant de conditions de départ plus favorables du fait de la pénibilité particulière de leur travail.
Julien Dubouchet Corthay
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